La femme de ménage, le client italien et le contrôle : 7 principes de Zobrist qui m'ont marqué à vie
Agir ou laisser faire : faut-il vraiment choisir ?
L’organisation de ton entreprise est devenue complexe, te freine pour changer de dimension ?
Tu veux soulager des équipes surchargées ?
Tu veux faire passer un cap à ton entreprise mais tu crains de la compliquer ?
Voici 1 anecdote et 7 principes de Jean-François Zobrist, ex-patron de FAVI.
Ils m'ont marqué à vie. Ils nourrissent ma vision entrepreneuriale.
NB : sous le management de Zobrist (1983-2009), FAVI, une fonderie picarde, est passée de 86 à 600 salariés. Références plus bas.
“Nous ne sommes pas humanistes par charité. Non. C’est pour faire de l’argent.”
Jean-François Zobrist
dans le documentaire “Question de confiance”. (Voir plus bas)
Histoire de Christine, la femme de ménage commerciale…
Ou pourquoi l'engagement est l'actif le plus précieux de l'entreprise.
“Au début de nos contacts avec Fiat, un Ingénieur Qualité devait venir nous auditer. Nous avions convenu d’aller le chercher à Roissy dans l’après-midi, veille de sa visite.
Il devait nous confirmer l’heure d’arrivée de son avion, chose qui ne fut pas faite et j’attendis jusqu’à 19h de ses nouvelles.
N’en ayant pas, j’abandonnais la veille et le lendemain matin vers 8h30 vis arriver cet ingénieur parlant le français qui me raconté que son avion ayant pris du retard, il s’était posé à Roissy à 20h30 et à tout hasard avait appelé l’usine.
Une voix féminine lui avait répondu en lui demandant où il était et où on pouvait le retrouver. Il avait donc fixé à cette voix un point de rendez-vous à Roissy et vit arriver 1h 1/2 plus tard une dame qu’il me décrivit comme quelqu’un de très sympathique, courtois mais visiblement pas au courant du tout de sa visite.
Je menais une rapide enquête pour découvrir qu’en fait c’était Christine la femme de ménage qui, en nettoyant les bureaux, avait entendu le téléphone sonner, avait naturellement décroché, répondu à la personne, et pris en charge le problème en prenant les papiers et les clés d’une voiture de société librement disponible au standard.
Christine s’était comportée de façon tout-à-fait holomorphe. Elle n’était plus femme de ménage, elle était FAVI et donc avait “pris le ballon”.
Cette histoire nous valut d’emblée au moins 10% de plus en notation par l’auditeur, cela d’autant plus que l’anecdote se déroule en 1985 époque où tout le monde était profondément “X”*.
EXPLICATION DE TEXTE :
La chose a été possible bien sûr grâce aux conditions immatérielles et morales de responsabilisation de chacun mises en place, mais aussi grâce à une condition matérielle aussi simple que la libre disponibilité des véhicules de société.
C’est là une des forces de notre système :
Sa cohérence entre les mesures immatérielles et matérielles…”
(extrait de La belle histoire de FAVI, tome 1. Voir plus bas.)
* profondément X : référence à Douglas McGregor et à ses théories X et Y.
Notre monde est un chaos : un système complexe sensible aux conditions initiales et où rien n'est prévisible.
Aucune procédure ni pression ne pourront jamais anticiper ni compenser tous les changements et imprévus inhérents à la dimension chaotique du monde.
➜ Mon management a-t-il pour principal objectif de prévoir ou de se nourrir des imprévus ?
7 principes illustrés par l’histoire de Christine
1) “Un patron montreur d’étoiles, des chercheurs de chiffre d’affaires, des apporteurs de valeur ajoutée, sans aucun contrôle, et rien d’autre.”
En 2009, sur un forum de dirigeants, un membre demande des conseils à propos des entretiens annuels.
C’est probablement la première fois que je vois passer le nom de Jean-François Zobrist.
Sa réponse commence par : “l’entretien annuel, c’est de la merde.”
Et finit avec sa définition de l’entreprise :
“Un patron montreur d’étoiles,
des chercheurs de chiffre d’affaires,
des apporteurs de valeur ajoutée,
sans aucun contrôle,
et rien d’autre.”
➜ Quels sont les écarts entre mon entreprise et cette définition ?
2) “Le management est une sorte de laisser-faire pour faire en sorte que les choses se fassent d’elles-mêmes.”
Tout un programme. J’ai mis des années à l’intégrer, à faire évoluer mon comportement en conséquence. Aujourd’hui encore, je ne me sens pas tranquille devant cette phrase. Tout un programme.
➜ En tant que dirigeant, en quoi cette notion de laisser-faire me challenge-t-elle ? Est-ce que, en ne laissant pas faire, je ne suis pas un frein à ce que les choses se fassent ?
3) “La performance vient des ouvriers. Il n’y a pas de performance sans bonheur. Et pour être heureux, il faut être responsable.”
Christine n’est pas la seule à avoir pris ses responsabilités parce qu’on les lui avait données. C’était le cas de tous les employés chez FAVI.
Un salarié témoigne dans le documentaire réalisé par France 2 en 2008 (voir plus bas) :
“je suis rentré en 1985 et je devais rester qu’une année. C’est le système de management mis en place par Monsieur Zobrist qui a fait que je suis resté là.”
➜ Quel est mon projet managérial ? Est-ce qu’il a tendance à développer ou restreindre le pouvoir de chacun ?
4) “L’homme est bon.”
C’est une des deux valeurs de FAVI, avec “l’amour du client”.
Pour Zobrist, le contrôle existe pour contraindre les 3% de personnes qui chercheront de toute façon comment le contourner.
Pendant ce temps, il gêne 97% des salariés.
➜ Quelle est ma conviction profonde sur ce sujet ?
Quels sont les signes visibles de cette conviction dans mon entreprise ?
Quels sont les écarts entre cette conviction et mon entreprise ?
5) L’autogestion : comme à la place de l’Étoile à Paris.
Dans le tome 1 de La Belle Histoire de FAVI, Zobrist raconte une anecdote vécue à un rassemblement aérien en Belgique.
S’étonnant auprès du bureau de piste de voir en même temps, dans le même espace aérien, des avions, des ULM, des hélicoptères et des parachutistes, il se vit répondre :
”vous imaginez quelqu’un qui se mettrait en haut de l’Arc de Triomphe et qui dirait “À partir de maintenant, c’est moi qui commande !” Eh ben à tous les coups plus personne ne passerait et il y aurait plein d’accrochages ; si les gens circulent dans votre carrefour, c’est parce que chacun sait ce qu’il veut faire mais que tout le monde a intérêt à faire attention ! Eh ben ici, c’est pareil !”
Exemple de traduction concrète : l’organisation en mini-usines autonomes. Qu’on retrouve dans de nombreuses entreprises.
Haier, par exemple, a divisé ses 70.000 salariés en 4.000+ micro-entreprises. L’un d’elles est passée de 0 à $1Mrd de valorisation. En 6 mois. (source : témoignage de Haier au Drucker Forum, via la newsletter Corporate Rebels du 9 juin 2025)
6) La confiance exclut le contrôle.
À ceux qui lui servaient “la confiance n’exclut pas le contrôle”, Zobrist avait coutume de demander :
- T’as confiance en ta femme ?
Surpris, l’autre répondait par l’affirmative. Et Zobrist :
- Tu la suis pas quand elle va chez le coiffeur ? Ben dans l’entreprise, c’est pareil. La confiance exclut le contrôle. On ne contrôle rien.
Si vous êtes adepte de “la confiance n’exclut pas le contrôle”, sachez que cette phrase est attribuée à Lénine. À la vérité, Dzerjinski et Lénine sont cités comme ayant dit ''la confiance, c'est bien, mais le contrôle, c'est mieux", qui était un proverbe russe. Dzerjinski est aussi cité pour avoir dit en 1918 "nous sommes pour la terreur organisée".
Ce principe fait débat et j’en discute souvent avec des dirigeants.
Souviens-toi de Christine.
Le plus compliqué n’est peut-être pas d’appliquer ce principe dans l’absolu mais de réussir à changer de conviction et de comportement.
7) Le contrôle coûte plus cher que ce qu’il cherche à éviter.
Noël 1983.
Zobrist est officiellement directeur depuis avril. Il avait décidé de ne rien faire jusqu’au départ du directeur précédent, en juillet. Il a opéré certains changements depuis septembre mais bute sur les cadres.
“Devant mon incapacité à faire bouger les choses par le haut, j’avais décidé de les faire bouger par le bas.”
Il prononce alors le fameux discours de la péripatéticienne (La Belle Histoire de FAVI, Tome 1 - Page 36) où il annonce différentes mesures, dont les 2 suivantes :
Démontage des pointeuses : “vous n’êtes pas payés pour faire des heures mais pour faire des pièces et des pièces bonnes !”
Démontage de la porte du magasin : “il n’y a pas de voleur parmi vous, c’est pourquoi la porte du magasin sera démontée. Comme disent les Chinois : “la porte la mieux fermée est celle qui peut rester ouverte.” On va mettre quelque part un panneau et un marqueur, et chacun indiquera non pas son nom car cela n’est d’aucune utilité, mais ce qui a été pris, de façon à pouvoir lancer les commandes de réassort.”
Encore aujourd’hui, ce démontage de composants considérés à l’époque comme indispensables (mais plus maintenant, bien sûr…) est un symbole pour moi : le symbole des complications que nous créons et entretenons par peur, par méfiance. Moi le premier. “Souviens-toi de la pointeuse et du magasin”, c’est un peu ce que je me dis quand j’hésite à ajouter ou supprimer un mécanisme de contrôle ou de méfiance.
➜ Quels sont les mécanismes de contrôle dans mon entreprise ? Ex. : participation à des réunions ou des canaux de discussion, relectures, validations, présentations, reportings, systèmes carotte-ou-bâton, utilisation du pouvoir hiérarchique.
➜ Quels sont les contrôles appliqués à 100% des salariés quand 97% d’entre eux sont de bonne volonté ?
➜ Combien tout cela coûte-t-il ? Pour quelle valeur apportée et quels risques évités ?
Jean-François Zobrist nous a quittés le 10 mars 2025.
Cherchez son nom et vous trouverez quantité d’articles, vidéos et podcasts à son sujet.
J’en ai sélectionné 5 :
Le testament managérial de Jean-François Zobrist (publié sur LinkedIn par Isaac Getz)
L’essentiel du management par la confiance par un petit patron naïf et paresseux (publié sur LinkedIn par Isaac Getz)
Documentaire Question de confiance réalisé par France 3 durant 1 an :
7 entreprises qui fonctionnent sur les mêmes principes
On connaît aujourd’hui plusieurs milliers d’exemples d’entreprises de toutes tailles, dans tous les secteurs, partout dans le monde.
J’en ai sélectionné 7 avec lesquelles j’ai un lien particulier.
Soins infirmiers à domicile : Buurtzorg.
14.000 salariés, 50 personnes au siège, 0 manager (non, il n’y a pas erreur 🤓)
SourceAssurance : USAA
24.000 salariés
Entreprise étudiée par Isaac Getz et Brian M. Carney dans Liberté & Cie (2012)Communication : The Richards Group
200 salariés
Entreprise étudiée par Isaac Getz et Brian M. Carney dans Liberté & Cie (2012)Digital : HCL Technologies
72.000 salariés
SourceIndustrie : Gore
8.000 salariés
Entreprise étudiée par Isaac Getz et Brian M. Carney dans Liberté & Cie (2012)Industrie : Michelin Roanne
840 salariés
SourceService public : Caisse Primaire d’Assurance Maladie des Yvelines
1.300 salariés
Source
1001 exemples, 0 modèle.
Le pire qu’on puisse faire, c’est d’appliquer à son entreprise une recette copiée d’une autre entreprise.
Ce serait comme essayer d’apprendre à chasser à des poules parce qu’on a vu que ça fonctionnait bien chez les renards. 🐔🦊
On ne passe pas du jour au lendemain d’une organisation classique à une organisation simplifiée.
Le meilleur jour pour commencer, c’était à la création de l’entreprise.
Le deuxième meilleur jour, c’est aujourd’hui.